Interview de Françoise Darmon

Aujourd'hui, Histoires d'Objets est une collection historique de cinq films documentaires sur le design qui réunit les plus grands designers architectes internationaux. Ces films ont pour ambition de faire découvrir au grand public la dimension sociale et culturelle des objets de notre environnement.

Le design dont nous parlons est une réflexion sur le monde d'aujourd'hui. Il reflète nos identités culturelles, il reflète notre manière de vivre.

Il était essentiel dans ma démarche Du Sens dans l'Utile de ne montrer que la pensée créatrice et l'objet. La réalisation du film est elle même une création, les portraits des designers sont réalisés en noir et blanc et les objets sont filmés en couleur.

L'objet est quelque chose d'essentiel dans notre vie, nous vivons tous avec des objets. Je suis étonnée qu'il n'y ait pas eu déjà d'autres films sur l'objet.
Donc l'objet évolue en fonction des civilisations, des besoins et des techniques, il accompagne l'homme depuis toujours et aujourd'hui, je pense qu'il est intéressant de présenter des designers qui font déjà partie de l'histoire contemporaine.

Pourquoi le design? Les designers de ce film ne sont pas des dessinateurs de formes, ce sont des personnes qui réfléchissent sur les implications technologiques, sociologiques et culturelles qu'il y a derrière l'objet. C'est une véritable réflexion sur notre environnement.

Je voulais comparer le design à l'architecture parce qu'un grand architecte est urbaniste et donc un grand designer, comme un grand architecte réfléchit globalement à un projet et Charlotte Perriand, lorsque j'ai voulu l'interviewer m'a dit, je ne suis pas un designer de chaise, je serais incapable si on me commandait une chaise de me mettre à la dessiner, je suis une personne qui réfléchit sur l'espace d'habitation.

Comment on vit avec cet objet, où s'inscrit-il ? Et c'est cela qui est important. Finalement un objet tout seul n'a pas d'existence, il a de l'existence parce que nous allons vivre avec, parce qu'il est utilitaire. Un objet seul, qui n'a pas d'âme, qui a été standardisé, on n'a pas envie de le garder, on a envie de le jeter. Et c'était très important non pas de faire un discours pour que l'on adhère à une réflexion, c'était important de le démontrer en le montrant. C'est à dire que j'ai trouvé que la chose la plus intéressante c'était simplement de faire entendre le processus créatif et de monter l'objet en même temps. La force d'Histoires d'Objets, c'est la thématique. C'est à dire que nous avons la chance, à travers S'éclairer, S'attabler, Travailler ou S'asseoir, d'entendre sur un même thème le point de vue de designers qui sont des notoriétés dans le domaine.

Dans le cas de Charlotte Perriand, ce qui extraordinaire, c'est que ses objets sont déjà dans l'histoire et que l'on voit que quand un designer réfléchit autrement, quand un designer donne la charge d'intelligence et d'émotion à l'objet, cet objet devient intemporel et universel. Charlotte Perriand était peut-être la plus moderne des designers des films Histoires d'Objets.

Le but du designer, c'est de créer ce lien entre la technologie et l'Homme et rendre une sensibilité à un monde qui le devient de moins en moins. La phrase de De Lucchi qui est très importante est : "le matériau le plus précieux c'est la liberté", mais il termine quand même son entretien en nous disant même avec la technologie nous serons toujours heureux de regarder le bleu du ciel et je pense que la poésie, l'intelligence, l'humain resteront toujours et que nous ne deviendrons pas des automates derrière des ordinateurs.

TRAVAILLER
La démocratisation des objets technologiques fait qu'il y a de moins en moins de frontière entre l'espace privé et l'espace public et qu'il y a une tendance grandissante du travail à la maison et il était important de montrer, à travers le travail des designers, aussi bien sur l'espace du bureau que sur les objets du bureau comment on allait trouver un moyen de vivre avec ces objets technologiques qui nous accompagnent. La réponse de Gaetano Pesce est celle d'un espace hybride qui serait lieu de vie et bureau.
Dans le bureau de Gaetano Pesce, nous voyons des personnes qui peuvent, tous les jours, déplacer leur espace de travail. Il y a par ailleurs un restaurant, il y a ... C'est un véritable lieu de vie bien que les gens viennent encore au bureau. Ce n'est pas un bureau à la maison. Mais cet espace hybride est un espace de liberté avec des plastiques de couleur, il a voulu quelque chose de convivial, de joyeux.
Ross Lovegrove travaille aussi sur la mobilité mais utilise les nouveaux matériaux et monte un bureau comme un mécano. Jonathan Ive, nous présente le i Mac où l'ordinateur est un objet familier, usuel.

Dans Travailler les designers présentés ont une réflexion prospective sur le bureau du futur, mais cette réflexion prospective aboutit à des démarches totalement différentes.
Citterio aussi travaille surtout sur le mobilier avec la mobilité et la flexibilité mais ne crée pas d' espace, tandis que De lucchi a travaillé sur l'objet et dans le Festival Office, nous parle de nouvelles manières de créer des bureaux et avec ce Festival Office ce qui est intéressant, c'est que l'on peut travailler, comme il le dit, dans les plus beaux endroits du monde.

S'ASSEOIR
Pour un designer réussir une chaise, c'est un peu réussir sa vie de designer. Donc le siège est lié aux nouvelles technologies et aux nouveaux matériaux et j'ai essayé de présenter les plus belles chaises de ces designers.

Charlotte Perriand m'a énormément impressionné, non seulement impressionné mais elle m'a émue parce que elle m'a fait comprendre qu'il y avait plusieurs sortes de créateurs, ceux qui sont habités par ce qu'ils font, et je pense que l'on doit avoir le plus grand respect pour ceux qui ont un chemin de vie et qui sont capables de travailler cinquante ans sur un même projet en le développant de différentes manières à travers différents objets et Charlotte Perriand en fait partie.

Ross Lovegrove travaille dans deux directions qu'il intitule Organique Organique et Graphique Organique et il montre des chaises qui sont l'application des ses théories sur le design. Alors Alberto Meda ce qui est très intéressant c'est qu'il a un parcours d'ingénieur qui est devenu designer et il nous explique comment il a mis la technologie au service du design
Ron Arad était impressionnant par son humour, son intelligence fulgurante, et ses chaises exceptionnelles qui sont aussi faites pour être contemplées, elles ne sont pas des chaises seulement faites pour s'asseoir et il nous l'explique très bien.

Pour Pesce qui vit à New York, nous sommes arrivés, il y avait des prototypes partout; Pesce, à propos de S'asseoir, a un discours qui va bien au delà du dessin d'une chaise. Il dit que ce qui est intéressant dans la vie, c'est d'être différent, d'être unique et pourquoi les objets n'auraient pas la chance d'être différents comme les hommes. Donc, il applique cette philosophie à l'objet. Dans la série diversifiée, il dit que chaque chaise doit être différente, et il fait intervenir le hasard dans la fabrication.

S'ECLAIRER
La lumière crée la transition entre l'espace publique et l'espace privée, la lumière est essentielle et comme le dit Ingo Maurer, elle peut changer notre état d'esprit. Donc S'éclairer est pour moi un des thèmes les plus importants.

Achille Castiglioni nous présente la lampe Arco qui, elle aussi est célèbre dans le monde entier. Achille Castiglioni nous parle de l'amour pour ses lampes et à la fin de son interview, il nous dit, je ne voudrais pas qu'on se souvienne de moi mais qu'on se souvienne de mes lampes. Il a un amour particulier et il a une relation particulière avec son travail et c'est pourquoi il nous a fait rêver et il nous fait encore rêver.

Starck aujourd'hui est peut être le designer le plus célèbre, mais pour moi, il est particulier parce qu'il est le premier designer que j'ai rencontré lorsque j'ai commencé mon activité dans le design .
Pour lui la lumière c'est une énergie moderne, il parle de dématérialisation et il parle d'un combat de la lumière contre la matière.

Dans S'éclairer, les designers présentent des lampes de grande qualité formelle mais il y en a qu'un qui se distingue, c'est Ingo Maurer, il vit avec la lumière, il a une conscience de la lumière, il dit qu'au début il était dans la matière, il dessinait des lampes, aujourd'hui il parle de lumière et cette lumière qui change nos comportements, qui influence notre état d'esprit de cette lumière qui est essentielle. Ingo Maurer n'est pas seulement un designer de la lumière, il est le poète de la lumière, l'esprit de la lumière.

S'ATTABLER
Le film S'attabler n'est pas là simplement pour présenter des objets de la table. "La table est un monde" nous dit Achille Castiglioni et il a bien raison parce que les objets de la table sont bien entendu liés aux rituels de la vie domestique et là la table nous y passons beaucoup de temps et je pense qu'il est intéressant de faire prendre conscience de l'importance de ces objets utilitaires avec lesquels nous vivons. Ettore Sottsass nous parle très très bien quand il nous dit lorsque je bois dans un verre un carton au bord de la route, je n'ai pas conscience que je bois tandis que lorsque je bois dans un beau verre en cristal, un bon vin, j'ai conscience que je bois et là on a exactement ce que peut apporter un objet par rapport à notre utilisation, à ce que nous en faisons.

C'est à dire lorsque vous avez une jolie nappe avec de belles assiettes et de beaux verres, je pense que vous avez conscience que vous vivez autrement,
je pense que là les objets ont une importance toute particulière, je suis très très sensible moi personnellement à la beauté d'une table mais la beauté d'une table ne veut pas dire des fourchettes en argent de choses compliquées, je pense une table très très simple avec des fourchettes bien dessinées en acier, comme celle d'Ettore Sottsass.

Donc, LES COMPORTEMENTS SOCIAUX ET ETHNIQUES LIÉS AUX ARTS DE LA TABLE sont une source d'inspiration pour les designers et les designers des films...
S'attabler était très important parce que parmi les grands designers dont nous avons précédemment parlé il y a une personne qui n'est pas designer, mais qui est un directeur de création dans son entreprise qui s'appelle Alberto Alessi et qui a par son discours, évoqué des choses que je ressentais et que je n'avais pas formulé, par exemple Alessi nous que dit aujourd'hui les entreprises ont exploré tous les besoins du consommateur, mais lui dit qu'il est possible de travailler sur un terrain qui n'a pas été exploré, ça veut dire la part de rêve et cette part de rêve, bien entendu, c'est la création. Donc aujourd'hui, au milieu de nos objets standardisés, nivelés par la mondialisation, nivelés par le marketing, nivelés par la distribution qui sont des objets qui ont une vie très très courte, je pense qu'il est important que les créateurs explorent et continuent à explorer par leur intuition par leur création, la part de rêve pour que nous ayons des objets que nous continuerons à aimer.

Histoires d'objets par l'importance de la réflexion des vingt cinq designers du film représente aujourd'hui un véritable document sur la création contemporaine et les objets qui entourent notre vie, il sera intéressant de constater que, ces objets, que certains de ces objets seront complètement obsolètes mais je crois quand même, que et j'espère l'on pourra toujours boire dans un verre en cristal et que l'on aura toujours une belle assiette de porcelaine, peut être qu'il y aura d'autres manières de s'éclairer et que l'on sera peut être beaucoup plus dans la lumière comme le dit Ingo Maurer, dans la dématérialisation, mais je pense que plus on va être dans la dématérialisation et dans les nouvelles technologies qui aussi nous aident à vivre, d'une certaine manière, parce qu'il ne faut pas rejeter; nous allons vivre avec, il sera intéressant de pouvoir posséder des objets que nous aimons, qui ont encore un affectif, des objets qu'on aura envie de transmettre et non de jeter, parce qu'il ne faudrait pas que l'on crée une immense poubelle où l'homme n'a plus sa place.
Ce constat que fait Histoires d'objets aujourd'hui sera peut être dans le temps lui même un vrai documentaire historique.